Portrait de Lionel, photographe et auteur du blog « Un oeil qui traîne »

Pourriez-vous vous présenter en quelques mots ?

J’ai trois grandes passions, la photographie que j’ai apprise en autodidacte, la balade et le street art. Je suis toujours en train de regarder de droite à gauche, de m’arrêter et de chercher. Lorsque nous voyageons avec ma femme, cela peut devenir énervant pour elle. « Tu as toujours un oeil qui traîne ! » m’a-t-elle fait remarquer un jour. J’ai trouvé, grâce à elle, le nom de mon blog, Un oeil qui traîne. Mon métier me laisse du temps libre que j’utilise pour ces passions et pour alimenter mon blog. Je ne suis pas un amateur de musées. Je n’ai pas cette culture et je préfère largement être dans la rue. J’aime la ville au sens large, son côté mouvant et découvrir de nouvelles oeuvres quotidiennement.

Comment avez-vous commencé vous intéresser au Street Art ?

Au départ, c’est une passion. Cela fait près de 20 ans que je photographie, pas forcément de manière aussi compulsive que maintenant. Au commencement, c’était dans la rue, des choses qui attiraient mon attention. J’ai commencé à photographier les oeuvres de Miss Tic et de Jérôme Mesnager,  plutôt dans le 13e arrondissement vers la Butte aux Cailles, puis assez rapidement dans l’Est de Paris du côté du 19e, 20e et 11e arrondissement. Je cherchais des oeuvres de certains artistes, et chemin faisant, j’en trouvais d’autres tout aussi intéressantes, comme celles d’Invader notamment. Je voyais les mosaïques envahir progressivement les rues de Paris dans les début des années 2000. L’aventure a démarré comme cela.

À cette époque, je prenais des photos pour moi. Puis, j’ai voulu partager les oeuvres des artistes et j’ai commencé à créer un premier site internet. J’adore la ville en général. Le fait de chercher nous pousse à la découvrir d’une autre manière. J’aime l’idée de partir à la chasse et d’avoir de belles surprises. La curiosité est un vrai moteur ! J’aime les vraies découvertes, tomber sur une oeuvre, alors qu’on en cherche une autre, est toujours un bonheur.

Quels artistes appréciez-vous particulièrement ?

C’est difficile de répondre à cette question. Il y a tellement d’artistes, avec des styles différents et des techniques variées. Un artiste que j’apprécie depuis très longtemps, c’est Invader. Je trouve son concept d’envahir l’espace urbain dans sa totalité très intéressant. Il nous incite à aller dans des quartiers qui ne sont pas forcément très touristiques, hors des sentiers battus, puisqu’il colle ses mosaïques partout. Je photographie de façon systématique toutes ses oeuvres à Paris et certaines à l’étranger lors de mes voyages. Les réseaux sociaux sont bien utiles pour trouver rapidement certaines pièces !

Depuis son lancement en 2014, j’utilise l’application Flash Invaders, développée par l’artiste, qui permet de “flasher” ses oeuvres et de se confronter à d’autres « flasheurs » grâce à un système de classement. L’appli nous donne le nom de la pièce, ainsi que le nombre de points qui lui est attribué. Quand je voyage dans une ville qui a été envahie, je fais en sorte d’aller « à la chasse ». À ce jour j’ai flashé 1365 spécimens dans 13 villes (dont 1083 pour Paris seul) pour 39 310 points ! Mais j’ai dégringolé dans le score et je suis bien loin des premiers qui n’hésitent pas à faire des Flash Tours !

J’adore aussi le travail de Shepard Fairey, de Vhils, de D*Face, Herakut, Jef Aérosol ou ROA, mais aussi d’artistes moins connus sur la scène internationale comme Levalet (ci-dessous), Philippe Hérard, Guaté Mao (ci-dessous) ou Yz.

J’aime aussi beaucoup les oeuvres de Retro, qui travaille uniquement à la peinture et souvent avec un collectif appelé French Kiss (Hobz, Lek, Alexöne ou Arnaud Liard notamment). Une de ses oeuvres les plus impressionnantes s’inspire d’un conte russe, «La Princesse et la Grenouille », qu’il avait choisi de raconter en peignant sur un mur de plusieurs dizaines de mètres. Le résultat donnait une véritable bande dessinée, géniale visuellement, mais un vrai challenge à photographier !

Lors de mes voyages à New York, Londres ou Hong Kong par exemple, je me réserve toujours un moment pour aller découvrir des quartiers, à la recherche de nouvelles oeuvres et de nouveaux artistes.


D*Face / Alexis Diaz (New York)

Shepard Fairey / Invader (Londres)

Matt Gondek / Invader (Hong Kong)

Quels sont vos derniers projets ?

J’ai été contacté par Mehdi Ben Cheikh, directeur de la Galerie Itinerrance, au printemps dernier,  pour faire des photos du projet Stream qui a réuni 4 street artistes : 1010, Momies (ci-dessous), Nebay et Seth (ci-dessous). Je me suis retrouvé sur une nacelle en plein Paris, à près de 40 m de hauteur, le long de la Seine. C’était un point de vue unique, juste hallucinant ! Je suis heureux d’avoir pu immortaliser et partager ces oeuvres, notamment celle de Seth qui, entre l’Assemblée Nationale et le Grand Palais avec la Tour Eiffel et le Pont Alexandre III en arrière plan, “claquait” bien. Il y a évidemment le projet Street Art 13 qui s’étoffe régulièrement.

Gautier Jourdain de la galerie Mathgoth développe un projet avec le Grand Paris Sud et fait réaliser des oeuvres incroyables par des artistes comme Jef Aérosol, Fintan Magee, Case Maclaim, Astro, David Walker ou Hendrick Beikrich.

Fintan Magee / Case Maclaim / David Walker / Hendrick Beikrich

Quels sont les articles qui ont rencontré le plus de succès sur votre blog ?

Je ne publie pas forcément des articles pour qu’ils aient du succès, mais plutôt parce que j’aime une oeuvre, un artiste, un projet et que je veux le faire partager. Un article dont je suis très fier est celui sur Shepard Fairey lorsqu’il est venu réaliser ses fresques “Liberté, égalité, fraternité” et “Delicate Balance”  à Paris dans le 13e arrondissement à l’occasion de sa présence à Paris pour l’exposition Earth Crisis en juin 2016. J’avais l’espoir qu’il remarque mes photos et qu’il relaie mon site. Il les a effectivement remarquées, mais quelle déception quand je me suis rendu compte qu’il avait partagé l’adresse d’un autre site qui avait eu l’indélicatesse de récupérer mes photos et de les publier sans mon autorisation !

J’ai publié un article sur l’exposition de Maye qui s’est déroulé il y a 3 ans à la Galerie Itinerrance et qui avait eu beaucoup de succès. C’était une belle découverte ! Maye est un jeune artiste avec un talent fou, hyper perfectionniste. Ses personnages mi-humains mi-machines évoluent dans un univers sombre et pollué dans lequel l’espoir demeure malgré tout. Les détails sont tellement nombreux sur chaque toile que l’on peut en avoir plusieurs lectures.

Que vous apporte le Street Art ?

Le Street Art me permet de rencontrer beaucoup de monde, de voir des choses magnifiques, d’échanger, de partager, de voyager… Parfois, je me demande pourquoi je fais tout cela : parcourir des kilomètres à vélo pour aller photographier un mur, passer des heures sur mon ordinateur (souvent jusqu’à tard dans la nuit) à trier, retoucher, cataloguer, renseigner mes photos, écrire mes articles alors que j’ai un travail et surtout une famille, ma priorité absolue, qui m’accompagne régulièrement.  Quand je reçois des messages d’encouragement, cela donne un sens à tout ce travail. Je me sens utile et peut-être même reconnu.

J’ai réalisé plusieurs dizaines de milliers de photos, dans la rue ou en galerie, d’oeuvres d’Invader ou de centaines d’autres artistes, sûrement parce je suis assez collectionneur dans l’âme. Je suis fier d’avoir été le témoin de ce mouvement et de pouvoir le documenter. J’aimerais d’ailleurs publier un jour un livre et/ou faire une expo de mes photos. Ce serait pour moi la reconnaissance ultime !

Pourriez-vous nous donner quelques conseils ?

Je travaille toujours au format RAW, qui signifie “brut” en anglais, car cela permet vraiment de conserver toutes les nuances et tous les détails d’une prise de vue. Je retouche toutes mes photos, ce qui me donne énormément de travail. C’est important pour moi de montrer une photo qui soit la plus fidèle à ce que l’artiste a pu réaliser. Photographier pour photographier ne m’intéresse pas.

C’est important de retoucher ses photos, et ce n’est pas tricher que de les retoucher. La plupart des photographes de tous temps ont retouché leurs photos, que ce soit en argentique ou en numérique. Il n’y a rien de choquant à cela… Il ne faut pas négliger la prise de vue ; meilleures sont les conditions ou les réglages lors d’une séance, moins il y a de travail derrière.

J’estime qu’à partir du moment où l’on montre ses photos, il faut vraiment respecter l’oeuvre et l’artiste. J’essaye aussi de trouver des points de vue différents, de trouver le cadrage un peu décalé qui fera une photo intéressante, différente des autres et peut être unique. Je suis perfectionniste et je me donne le temps de faire et de bien faire.

Du Street Art à Drouot, qu’est-ce que cela vous évoque pour vous ?

Je trouve cela naturel qu’un artiste Street Art vende ses oeuvres en galerie, en salle de ventes ou lors d’une foire. En revanche, c’est le côté “label” du Street Art qui m’embête plus. Un artiste, qui se dit Street Artist, et qui ne met plus les pieds dans la rue, cela me dérange. De mon point de vue, l’expression « art urbain » serait alors peut-être plus adaptée car elle englobe des oeuvres qui sont réalisées dans l’espace urbain, qu’elles soient institutionnelles ou sauvages.

Crédits photos : Lionel Belluteau